Est-ce que vous avez entendu parler de la Passion Economy ? Après tout ce qui s'est passé en 2021 je souhaite finir l'année avec vous, chers lecteurs, sur l'avènement de cette tendance, qui n’est pas tout à fait nouvelle mais qui a pris un essor et une ampleur inédits durant cette désormais longue crise sanitaire. J’y vois aussi l’alpha et l’oméga des plans de relances industriels, nombreux ces jours-ci, qui lient technologies, politique publique, compétitivité et, in fine, l’éducation et la culture.
Les plus belles promesses du web
Quelle est la plus belle promesse du web ?
Sans doute celle que s’est arrogée Google, aussi longtemps que son pouvoir était vecteur de croissance plus que chargé de responsabilité. Souvenez-vous, elle clamait haut et fort “organiser l'information mondiale et la rendre universellement accessible et utile”.
Et quelle est la seconde plus belle promesse du web ?
"Être l’outil de création et de diffusion le plus ouvert et puissant qui soit”. Pour ma part, c’est cette promesse qui m’intéresse et m’enthousiasme le plus, par éducation sans doute mais aussi par conviction, je fais partie d’une génération d’acteurs de l’entrepreneuriat numérique qu’on a cherchée à opposer aux créateurs. Comme l’illustre loi Hadopi et son théâtre, qui étaient une façon de faire plaisir à certains plutôt qu’une véritable solution. Quel temps perdu à regarder le doigt plutôt que la lune, à stigmatiser des usages marginaux pendant que les grands équilibres (YouTube, Netflix, majors de la musique et du cinéma devenues, avec leurs catalogues, asset managers) basculaient sous nos yeux.
Mais passons à la troisième plus belle promesse du web : “on a toujours une autre chance d’y faire une première impression”… La première fois que j’ai entendu cette phrase, c’était à San Francisco et elle justifiait la prise de risque, la mise en ligne de services imparfaits, leur amélioration permanente. Regardez Facebook Meta ! Je n’en dirais pas plus ici sur l’hydre des réseaux sociaux, mais le feu roulant des innovations permet dans cet espace public qui garde pourtant trace de tout, de tous, en permanence, de flooder, de recouvrir ou de noyer, c’est selon, l’information par toujours plus de nouvelles informations.
Le futur est déjà là, depuis longtemps
25 ans, déjà, que le web bouleverse nos usages en matière d’information, de culture, d’enseignement, de loisirs… Dire Yahoo aujourd’hui, c’est comme dire ORTF quand j’étais enfant. Facebook qui n’a pas 20 ans n’est certainement plus le réseau social des moins de 30 ans. Et des secteurs relativement nouveaux ont pris une taille énorme. Comme celui des jeux vidéos, dont le marché atteint 300 milliards de dollars et représente désormais à lui seul autant que ceux du cinéma et de la musique réunis.
Ça s'en va et ça revient…
La pandémie et son Grand confinement ont fait exploser la Creative ou Passion Economy, parce que nous avions plus de temps et besoin de divertissement, mais rappelons que c’est une tendance qui n’a rien de récent. Souvenez-vous des débuts du web et son obsession de la long tail (longue traîne), le concept qui a permis le succès de la première génération de start-up Internet : livres rares chez Amazon depuis 1994, contenus difficiles d’accès jusqu’à Google en 1998. Puis le Web2.0 à partir de 2003, cette deuxième génération de sites qui permettait d’interagir avec des contenus créés par les internautes et promouvait en plus du partage les interactions entre utilisateurs. MySpace est créée en août 2003, (Fabernovel en septembre), Facebook en février 2004, YouTube en février 2005 (Dailymotion juste avant, en janvier), 18 mois bien remplis. Mais on a retenu les réseaux sociaux et les plateformes - le fameux You, Person of the Year, miroir imprimé en couverture de Time Magazine en 2006 - plus que la valorisation des artistes.
Une réconciliation féconde
Peut-être parce que cette réconciliation entre technologie et création, artistique en tout cas, n’était pas immédiatement une évidence. Le piratage était une sacrée pomme de discorde entre créateurs diffusés et diffuseurs créatifs. Mais c’est bien la technologie qui les a réconciliés, puisque c’est le streaming plus qu’Hadopi qui a réduit les usages illicites : plus que la répression c’est la qualité de l’expérience qui a convaincu. Selon le dernier baromètre de la consommation de biens culturels publié par l’Hadopi (au moins, ça sert de baromètre !) en novembre 2021, 65% des Français sont abonnés à un service de streaming musical ou vidéo, une progression de 3 points par rapport à 2020.
Passion technology
Réconciliation ou nécessité plutôt, car quel artiste peut ignorer Instagram, Netflix ou Amazon désormais ? Et les technologies conçues et utilisées par les créateurs ont fleuri bien au-delà de ces grandes plateformes.
Des licornes comme Meero (cocorico !) et Canva (australienne, une des trop rares start-up dirigée par une femme et un parcours tellement Passion Economy, si vous ne connaissez pas, jetez un oeil à son histoire) ont créé et mis en ligne des logiciels de création précédemment sous licence et installés sur vos ordinateurs, comme Photoshop d’Adobe. Imaginez que vous passiez de la suite Office de Microsoft sur votre ordinateur à Google Docs, Sheets et Slides dans votre navigateur, c’est la même chose avec Meero ou Canva pour les designers.
Et puis, ces dernières années ont émergé de nouveaux outils de création et de diffusion, qui intègrent des fonctionnalités de financement, à l’acte ou par abonnement, Substack (newsletters), Patreon (vidéos) et Cameo (messages de célébrités). Au passage, notons que tous ces sites sont d’origine américaine et que c’est la première fois de ma carrière que je vois une vague de services de la Passion Economy ne pas avoir sa version “locale” (ie YouTube / Dailymotion, MySpace / Skyblog, Kickstarter / KissKissBankBank, etc.). Un signe que la France n’a pas encore la même sensibilité à la Passion Economy, une extension du rêve américain qui n’a pas encore atteint nos frontières.
Passion accessibility
Réseaux sociaux, distribution en ligne, outils de création, outils de monétisation, de nouvelles plateformes de diffusion se sont imposées. Le chinois TikTok bien sûr, à en faire trembler à la fois YouTube et Facebook, mais, et c’est au moins aussi intéressant, Onlyfans, dont l’usage le plus évident a été trouvé par les travailleurs (créateurs ?) du sexe comme levier de monétisation extrêmement efficace. Cocasse et symbolique, puisqu’en 2021 comme au 19è siècle L’Origine du monde reste impossible à montrer sur Facebook, la ville de Vienne a décidé de “s'amuser du fait que” la Vénus de Willendorf, symbole de la fertilité de près de 30.000 ans, a été classée comme contenu pornographique par Facebook (c’est l’AFP qui le dit et vous lisez bien !) et fait le buzz en exposant les nus de la préhistoire à Klimt sur cette plateforme spécialiste des contenus pour adultes… C’est un moment assez surprenant où la promesse d’accessibilité du web se trouve contredite. Et bien sûr, ces terriers de lapins comme dans Alice au pays des merveilles vont se démultiplier avec le métavers, qui est une promesse d'expérience nouvelle mais pas du tout d’universalité ou de facilité d’accès.
Dans cette première partie, je vous ai parlé de l’histoire et de l'avènement de la Passion Economy. Un peu de patience, je vous en dirai plus la semaine prochaine et celle d'après. Parce que oui, pour la première fois (comme quoi, il y en a toujours) ce billet vous sera délivré en plusieurs parties, pour rester avec vous jusqu'à Noël, et puis, un feuilleton, c'est plus Passion Economy.
Un mot pour la fin
Est-ce que vous avez déjà entendu parler d’effet Veblen ?
C’est une notion qu’on doit à l’économiste et sociologue américain Thorstein Veblen - père du mouvement technocratique, ça ne s’invente pas - qui dans son ouvrage Théorie de la classe de loisir en 1899 a identifié l’effet du snobisme sur un objet et plus généralement un marché. On le voit souvent dans le domaine du luxe ou de l’art, l’élasticité de la demande est inversée par rapport aux prix si on le compare, dans la théorie micro-économique, à un produit qui n’a pas les mêmes attributs de “distinction sociale” : la demande augmente avec le prix, et quand le prix baisse, les acheteurs s’en désintéressent.
On parle de consommation ostentatoire.
Les NFT doivent presque autant à Veblen qu’à Nakamoto.
Et puis un lien ou deux, quand même
L’occasion de vous partager un lien de Polytechnique Insights, j’en ai tellement partagé des articles du MIT, de Stanford, etc. et le sujet est à-propos. Peut-on quantifier la beauté ? Quand des physiciens experts de la complexité travaillent avec des galeries et des historiens de l’art. Pas forcément “conclusif” mais la démarche est passionnante.
Le mot de l’année 2021 aux Etats-Unis ? NFT bien sûr ! Connaissez-vous l’histoire des CryptoPunks ? Elle est fascinante et très éclairante.