Abonnez-vous qu’ils disaient et Chirac en Cadillac
Revues éphémères, essais et opinions s°03.ep01 - 2020.10.08
S : C’est la rentrée pour Stéréo, et nous avons décidé de profiter de cette longue pause estivale pour changer, évoluer pour une nouvelle saison.
Déjà, il y a un nouveau nous.
(T)om est adjoint au maire de sa ville et son mandat l’accapare, le T de Stéréo sera désormais celui de (T)alents, ceux de Fabernovel et de nos interactions sur (T)witter - je vais enfin pouvoir retrouver le goût et l’usage de ce réseau.
Mais c’est aussi pour moi l’occasion de faire un K, et de retrouver mon ami et ancien collègue (K)evin Echraghi, le fondateur d’Hérétique, qui navigue à la frontière entre think-tank, studio de développement et agence de conseil pour penser, créer et diffuser des numériques alternatifs.
K : Bonjour à tous !
S : Je vous parle en français aussi, puisque c’est la langue de l’immense majorité de nos abonnés. J’ai adoré l’exercice de l’anglais sur des articles tous anglo-saxons. Mais l’époque est à la relocalisation, nos sujets et notre industrie le méritent aussi, s’il est encore temps, et nous nous interdisions d’excellents articles francophones.
Enfin, les rubriques restent les mêmes... mais nous chercherons à garder une cohérence dans nos réponses, apporter deux sons mais tenir un thème ou trouver une harmonie, la stéréophonie... un jam session donc, sans jamais s’interdire de jouer au cadavre exquis de liens hypertextes qui font notre époque ou nos dérives.
S : En France, depuis la révolution du triple play lancé par Free il y a 18 ans presque jour pour jour, le “bundle” des offres numériques est une évidence : Netflix y distribue le championnat de Ligue 1 avec Téléfoot depuis août, du bundle à deux niveaux d’OTT. Aux Etats-Unis, Amazon défie les lois de l’apesanteur, donnée hallucinante : plus de 80% des foyers américains seraient abonnés à Prime. L’abonnement s’impose comme la martingale des innovations de service. Apple qui a toujours mis un point d’honneur à ne pas être le premier pour être le meilleur, vient enfin d’annoncer le lancement de One, son triple play... l’annonce de la bascule de son modèle de vente de smartphones et d’ordinateurs à celui de l’abonnement quadruple play ? Lien
K : Pour une première, passons du côté obscur de la force si tu veux bien. Si l’abonnement est devenu le modèle roi du numérique, les pirates ont su se l’approprier pour en faire une industrie florissante. Loin de nous l’époque de Napster et eMule où les fichiers se téléchargaient clics après clics. Loin de nous aussi l’époque des streams de foot dispersés sur la toile. L’heure est à l’IPTV pirate : comprenez la TV par internet, en toute illégalité. Mais avec abonnement, s’il vous plaît. Pour une somme modique, accédez à toutes les chaînes du globe sur votre ordinateur, votre smartphone et votre téléviseur connecté. Des abonnements pirates qui ont déjà convaincu 10 millions d’utilisateurs et génèrent 1 milliard de dollars de revenus aux USA seulement, avec une marge opérationnelle pouvant atteindre les 85%. C’est plus facile si tu ne paies pas le contenu que tu vends. Tout bénéf. (Hello Facebook. Hello Youtube.)
Au milieu des services qui ne peuvent décemment offrir plus qu’un ou deux championnats de foot à leur spectateurs, les services pirates se font un malin plaisir à bundler ce que leurs alter-égos légaux ne pourront jamais faire. La piraterie a encore de beaux jours devant elle. Lien
S : Côté obscur, le forfait, pas besoin d’aller jusqu’au piratage ! L’abonnement, c’est la promesse de l’excès. Aux Etats-Unis, les riches ont même des espaces dédiés pour stocker et « décontaminer » leurs livraisons Amazon Prime… En France, les sénateurs souhaitent depuis l’été dernier légiférer sur les forfaits mobiles, interdire les forfaits avec accès aux données illmitées et rendre obligatoire une tarification proportionnelle à la consommation.
K : Ok, on reste du côté obscur alors ? Jetons un coup d'œil au pendant “producteur” des abonnements. Quand pour 10€ par mois je peux écouter toutes les musiques du monde, et que je m’en donne à coeur joie en écoutant perpétuellement des nouveautés en flux tendu, combien de ces 10€ vont revenir à chaque artiste ? Pas beaucoup. Sur Spotify par exemple, il me faudra être écouté à peu près 350000 fois par mois pour gagner un SMIC. Et étant donné la primauté à la nouveauté poussée par les plateformes, j’ai intérêt à être très créatif, très régulièrement. Le CEO de Spotify, Daniel Ek invite d’ailleurs les artistes à “s’engager davantage” et leur rappelle gentiment que dans un monde d’abonnement, “ils ne peuvent plus se contenter de sortir des disques tous les trois ou quatre ans”. La création musicale n’est plus qu’une question de volume. Finalement, le streaming, c’est comme pour les restaurants. S’il y a une formule à volonté, c’est qu’on n’y va pas pour bien manger. Lien
Depuis cet été, je suis en boucle sur la question des forfaits mobiles illimités comme symbole de notre rapport au numérique et à ses usages. Le maire de Grenoble avait trouvé cette image pour la 5G dont le seul intérêt serait selon lui de “regarder du porno dans l’ascenseur en HD”. Dans une époque en recherche de sens et d’économie, “en même temps”, le forfait devient une promesse de déviance, la boulimie du “all you can eat” sans forcément être au “bon prix” puisque les plus raisonnables consomment bien moins sans payer moins cher.
Le forfait désormais ennemi du progrès ? Peut-être parce qu’il est le symbole des abus du monde d’avant : nous venons de le voir, c'était jusqu'ici le modèle économique qui nous connectait au futur, du triple play de Free aux playlists de Spotify en passant par les livraisons express d’Amazon. Après tout, le premier sens de forfait, celui qu’on commet, c’est le crime, la faute grave.
Sens plus récent, payé d’avance. Et justement, notre nouveau rapport au progrès n’est-il pas qu’on veut savoir et voir avant de payer ? Maîtriser quitte à retarder. D’ailleurs, c’est un peu comme Apple qui reporte, événement rarissime, l’annonce et la sortie de son nouvel iPhone 12 parce que la situation l’y oblige. Même Apple !
Sans parler de la covid, ou du covid - c’est dingue ce truc, on n’en sait tellement rien qu’on n’arrive même pas à se mettre d’accord sur son genre - nous étions arrivés à un moment critique de notre révolution numérique, la convergence de 4 tendances de fond.
D’abord, la suprématie des GAFA, ces nouveaux géants ne laissent que des miettes aux autres, même la nouvelle génération ne perce plus (ex : Uber, Lyft, WeWork, …).
Ensuite, l’émergence de la Chine comme superpuissance numérique : la guerre économique et numérique US / Chine nous force à prendre partie (ex : Huawei déjà depuis près de 2 ans, demain la fourniture de composants ou logiciels aux entreprises chinoises).
Puis la responsabilité évidente, directe, des grandes plates-formes dans certains des grands maux du monde moderne, pensez à Cambridge Analytica et les élections en Occident, ou à Amazon et ses emballages qui deviennent dès livrés des déchets.
Enfin, l’attente des peuples vis-à-vis de ces acteurs et des géants de la tech (il est loin le Zuckerberg héros-robot romantique du Social Network de David Fincher), en France, Qwant réunit des utilisateurs qui le font plus en réaction contre Google que pour les qualités propres du moteur de recherche. En Europe comme aux Etats-Unis, on assiste à un grand retour de la réglementation, sans doute la seule façon efficace de brider la puissance des grandes plate-formes.
Les raisons sont donc nombreuses pour que le forfait soit mis en cause pour la simple raison qu’un nouvel équilibre, un nouveau rythme émerge. Ça va aller moins vite et de nouvelles positions, locales, seront à prendre.
Ce n’est pas un hasard si pour la première fois en temps de paix, les Jeux Olympiques auront été reportés. La devise “plus vite, plus haut, plus fort” n’aura pas cours en 2020.
S : Bien sûr Ben, c’est exactement ça !
S : Les abonnements génèrent des revenus récurrents, c’est un truisme. Mais les meilleures idées se fondent souvent sur des évidences : certains pensent que ces revenus peuvent définir une classe d’actifs à part entière et une des start-up qui m’intriguent le plus ces derniers temps est Pipe qui propose aux éditeurs SaaS de se financer en tradant leurs abonnements auprès d’investisseurs. Lien
K : Il vont avoir une nouvelle grosse valeur à trader : les abonnements à du streaming de jeu vidéo en ligne ! Même si on nous promet la PS5 et la nouvelle Xbox pour cet hiver, ce sont surtout les lancements par Microsoft, Google et Amazon de leurs plateformes de Cloud Gaming qui ouvrent une nouvelle ère du jeu vidéo. Il ne faudrait pas que demain on passe notre temps dans une réalité virtuelle ailleurs que chez eux. Toutes ces data perdues ! Le futur est là, même si le streaming en 4K c’est vraiment pas bon pour la planète. Lien
S : Après le côté obscur, la mise en abyme. Mon cher K, nous sommes un peu des ringards, toi au moins, tu es un pur avec ton e-mail proton et ton refus de prêter allégeance aux GAFA mais avec Stéréo, nous n’avons pas fait comme tous les meilleurs auteurs de newsletters, nous ne sommes pas passés sur Substack, le Medium de la newsletter payante et un excellent outil pour gérer son audience et sa monétisation. C’est une tendance de fond, la monétisation des newsletters : mon idole Benedict Evans s’y est mis il y a quelques semaines et j’ai l’impression que depuis son départ d’Andreessen Horowitz, il l’envisage désormais comme sa principale source de revenus. Lien
S : Derrière l’abonnement, souvent une de mes règles favorites de l’économie des services : “There is only two ways to make money in business: One is to bundle…” Une autre façon de dire que l’histoire est un éternel recommencement ou d’envisager le fameux job to be done et le dilemme de l’innovateur de Christensen. Bundle or unbunde, that is the question ! Lien
K : C’est à Barbès, à la fin du XIXème siècle, qu’a émergé l’abonnement en France. Pensé comme une forme douce de crédit et comme un “remède à la pauvreté”. Le début du XXIème, c’est la fin du XIXème, internet en plus. Lien
S : Tu sais que tu m’as vraiment convaincu d’être le K de la situation quand tu m’as dit “le Health Data Hub français sur Microsoft ? Mais franchement, est-ce qu’on aurait imaginé François Mitterrand, Président, rouler en Cadillac ou en BMW ?” mais là, tu pousses un peu loin. Même si l’appropriation est un vol qui devient la loi. Puisqu’on discute, je te raconte que j’ai visité les studios Lucas à San Francisco où on te passe un film plein de Dolby et de THX pour t’apprendre que le cinéma a été inventé dans la baie de San Francisco au début du XXème siècle. L’abonnement était courant au XVIIème siècle en Angleterre et l’occasion d’informer le plus grand monde dans les meilleures conditions. Le grand Daniel Defoe, auteur de Robinson Crusoe - le livre le plus traduit après la Bible disent les Anglais, alors que nous disons que c’est le Petit Prince de notre Saint-Exupéry - homme d’affaires et de son temps, il inventa le journalisme économique. Defoe en parle dans son Essay Upon Projects publié en 1697 : « The past ages have never come up to the degree of Projecting and Inventing, as it refers to Matters of Negoce, and Methods of Civil Polity, which we see this Age arrived to. (…) (Defoe) ascribes directly to the merchandising enterprises, which either sent men forth to live by their wits or made it necessary that a merchant, even at home in his counting-house, be acquainted with the world and study contrivance to make his profit in it. »
K : C’est super intéressant ! En revanche, j’ai écrit que l’abonnement avait *émergé* dans le quotidien des Français à la fin du XIXème siècle. Je n’ai pas dit qu’on l’avait inventé ! Mais tu sais ce qu’on a inventé : la carte à puce. Pourquoi j’en parle ? Parce que c’est sûrement la plus grande expérience d’abonnement qu’on ait connue. Quand t’y penses, acheter une carte téléphonique à 50 francs c’était une forme d’abonnement au service de téléphonie. Et maintenant qu’est-ce qui témoigne de ton abonnement à ton opérateur ? Ta carte SIM, une carte à puce. Ou la carte bleue, c’est comme un abonnement au service de retrait d’argent. Abonnement pour lequel tu payes mensuellement d’ailleurs. L’histoire de cette technologie est fascinante. Inventée en France, elle a conquis 90% du globe, créant au passage, grâce au financement de l’Etat Français un géant technologique et industriel français: Gemplus. Devenu depuis Gemalto, et l’année dernière racheté par Thales. Et ne crois pas que notre petite carte à puce ait disparu. Le NFC de tes chers GAFA ou des néo banques c’est de la carte à puce, mais invisible dans ce morceau plus épais de plastique qu’est notre téléphone, et avec la capacité à échanger de la donnée sans fil. Maintenant la partie vraiment marrante : dans les années 90 alors que le monde entier se met à la carte à puce, les Américains décident de conserver leur carte à bande magnétique, beaucoup moins sécurisée que la technologie de nos cartes bleues. Quelle idée de faire un truc sans code PIN ! Mais tout ça c’était avant. Depuis 2015, les commerces américains sont obligés de s’équiper de terminaux qui acceptent la carte à puce. Beaucoup trop de fraudes et les banques en ont eu marre. Même si le choix technologique gagnant est le nôtre donc, la logique qui s’impose est la leur : pas besoin de code pour un paiement sans contact. Et on repart pour un tour, cette fois chez nous : pour te prendre de l’argent sur ta carte sans contact, pas besoin de ton code. Il suffit de toucher ta poche avec un terminal. REWIND donc. Ahh ces Américains, ils ont toujours eu un problème avec le fait de te laisser la maîtrise de tes données... Lien
Tiens, je m’étais amusé (en revanche, oui c’est Chirac - pas Mitterrand, et oui, Photoshop n’est qu’un passe-temps). Je te l’offre. A cette nouvelle saison de Stéréo ! 🥂
Vous avez aimé cette newsletter ?
Copyright © 2020 Fabernovel, Tous droits réservés.
Édité par Stéphane Distinguin (S), Fondateur et CEO de Fabernovel et (K)evin Echraghi, fondateur d’Hérétique, Stéréo est une newsletter orientée sur le numérique pour mettre en lumière les développements majeurs et signaux faibles qui touchent les sociétés et économies du monde.
Fabernovel est une talent company spécialisée dans la création de produits et de services numériques qui accompagne les entreprises dans leur trajectoire de transformation et d’innovation.
Félicitations ! Vous avez atteint la fin de cette page. Voici votre récompense.